Il parie sur la crevette

Publié le par Alexandra Chanjou




ECONOMIE. Crustafrais revit depuis quelques jours grâce à un Dieppois qui a racheté l'entreprise de cuisson de crevettes avec des amis. Un challenge en période de crise.


Plus qu'une entreprise, Crustafrais est pour Gilles Lorin un rêve qui se transforme en réalité. Ce Dieppois de 45 ans, ancien cadre chez Nestlé, passait son temps libre à fumer le saumon de façon artisanale pour ses amis et sa famille quand il s'est rendu compte que les commandes finissaient par venir de Paris et Londres. Le labo qu'il a créé chez lui paraît soudain trop petit. Et alors qu'il cherche une friche industrielle pour créer sa société, Gilles Lorin tombe sur une proposition de Freshpack pour le rachat de Crustafrais.
Mis en concurrence avec des Brésiliens au fort pouvoir d'achat, mais soutenu par les élus locaux, il remporte la mise le 1er décembre dernier.


Une équipe motivée

Gilles Lorin s'est entouré d'une équipe de choc. « Trois de mes associés sont des amis. Philippe Peter, directeur de Nestlé à Dieppe. Philippe Wadoux, responsable technique du conditionnement, chez Nestlé également, qui élaborera un plan de maintenance et d'amélioration des installations. Enfin, Valery Jimonet, patron d'Ozelo-Ozelair et de la société de publicité « Com une pub », qui pourra nous conseiller pour la communication et le marketing », explique, enthousiaste, le nouveau chef d'entreprise.
Il a aussi embauché Emiliano Castillo, commercial talentueux de 34 ans, Vénézuélien d'origine, ancien responsable commercial chez Antares, spécialisé dans la crevette tropicale. Lucile Levesque, responsable qualité, 23 ans, complète l'équipe. Et pour l'anecdote, le comptable n'est autre que Jean Bazin !
De l'ancienne équipe, ne reste que Dominique Ducrou, 54 ans, chef de production, plutôt emballé par ce renouveau : « Je suis là depuis dix-sept ans et j'ai vu passer trois patrons. Là, j'y crois, ça va marcher. Les méthodes sont plus artisanales et on privilégie la qualité à la quantité. On travaille à la main pour ne pas maltraiter le produit. »
Fin stratège, Gilles Lorin ne compte pas rivaliser avec les grands de la crevette. Mais plutôt démarrer doucement avec les produits existants, se faire connaître pour son savoir-faire et travailler de petites quantités pour la petite distribution, à 70 %. « Nous avons commencé la production le 29 décembre. On traite 350 à 500 kg de crevettes tropicales (de Madagascar ou du Brésil essentiellement) par jour. On ne produit que ce qu'on nous a commandé avant 10 h, au jour le jour. L'objectif est d'atteindre rapidement les 2,5 tonnes et de produire en étant rentable. »

Des embauches à la clé

Et pour faire des bénéfices le plus vite possible, Gilles Lorin et ses collaborateurs ont adopté le système D. Il a hypothéqué sa maison pour payer 51 % de l'entreprise avec ses fonds personnels, ne se rémunère pas, mais n'hésite pas à mettre la main à la pâte. Tout comme Lucile et Emiliano, le temps que l'entreprise puisse embaucher des salariés supplémentaires. « J'arrive à 6 h 30, je gère l'administratif jusqu'à 9 h 30. Puis c'est la production jusqu'à 17 h avant de revenir à l'administratif jusqu'à 20 h. Quand on atteindra la tonne par jour, je déclencherai une embauche. Quinze personnes devraient arriver chez Crustafrais d'ici 2010 », confie l'entrepreneur. Dans la cour, pas de gros 4X4, mais une petite berline réservée au commercial. Pas de camion non plus : la logistique est sous-traitée par Delanchy.
Pour l'heure, Crustafrais n'a qu'une vingtaine de clients, mareyeurs et poissonniers de la région dieppoise, Promocash et Rungis, qui a commandé 250 kg par jour pour un client il y a une semaine. « On va commencer à travailler localement, puis on vendra dans le département, la région et l'Europe. »
Gilles Lorin fourmille de projets : quand Crustafrais sera bien lancée, il compte racheter ses murs, qu'il loue actuellement, avec ses associés via une SCI. Emiliano et Lucile se rendront directement dans les pays producteurs au lieu de passer par des traders pour l'achat de marchandises. A la cuisson des crevettes s'ajoutera en 2009 celle des homards, langoustes, langoustines, crabe king de la côte nordique et des bulots dieppois.
En 2010, ce devrait être la consécration. « On a lancé une étude pour l'implantation d'une ligne de produits fumés : saumon mais aussi crevettes, huîtres et moules d'Espagne. » Crustafrais poussera ensuite la diversification encore plus loin avec le développement d'une ligne de préparation d'escargots frais.



Un peu d'histoire
Créée en 1993 par la famille de mareyeurs dieppois Gouye, Crustafrais a été rachetée en avril 2006 par Frespack, négociant en produits de la mer basé à Boulogne-sur-Mer.
« Ils pêchaient la crevette à Madagascar, la commercialisaient et se sont dit qu'ils pouvaient la préparer aussi. Mais c'est un métier qu'ils ne connaissaient pas. Et puis, ils ont confié la direction de l'entreprise à des salariés et n'ont pas pu suivre la gestion à cause de l'éloignement. Enfin, ils ont fait le choix de travailler avec des grandes et moyennes surfaces alors qu'ils n'avaient pas les outils pour réaliser quinze tonnes par jour. Et ce n'était plus rentable. Ils ont alors décidé d'arrêter la production », explique Gilles Lorin.
Ceci étant dit, Freshpack fait toujours partie de Crustafrais en tant qu'actionnaire à hauteur de 20 %.



Chiffres
La nouvelle société Crustafrais, située 55, rue Louis Blériot à Martin-Eglise, est une SAS au capital de 150 000 €. Gilles Lorin en est propriétaire à 51 %, Freshpack à 20 %, et les trois amis de Gilles Lorin se partagent le reste. A l'intérieur des murs se trouve un atelier réfrigéré de 700 m2. L'entreprise compte actuellement quatre salariés, ou plutôt trois puisque le patron ne se rémunère pas le temps que Crustafrais prenne son envol.


Portrait

Gilles Lorin, 45 ans, marié, trois enfants, est un Dieppois pur souche ! Né dans la célèbre Tour aux crabes, il a suivi une formation électrotechnique avant de rentrer chez Nestlé où il est resté vingt-trois ans. Il y passe de la production à l'encadrement et prend un congé individuel de fromation pour faire un BTS agroalimentaire. Pour racheter Crustafrais, ce passionné de la transformation des produits de la mer, a été obligé d'aller voir des banques de Lille et Rouen, les banques dieppoises ayant refusé de le soutenir dans sa démarche. Il a aussi hypothéqué sa maison.


Alexandra Chanjou

(Publié dans Paris-Normandie, ouverture de Dieppe, le 19 janvier 2009)

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